Monsieur et honoré confrère,

J’apprends aujourdhui par les journaux que vous avez été élu lundi dernier correspondant de la section de botanique à l’Académie des Sciences—² Je suis trop heureux de cet événement et trop flatté de voir mon nom inscrit près du votre pour ne pas venir vous témoigner ma vive satisfaction— Je vois aussi qu’on ne m’avait pas trompé en m’annoncant les dispositions de l’Académie à votre égard— Je crois fermement que vos idées font un chemin immense et qu’elles triompheront bientôt dans la science à mesure que les traditions de l’Ecole de Cuvier achèveront de séffacer.³ Je crois aussi que les decouvertes et les observations iront en se multipliant d’année en années soit par l’étude de la nature vivante, soit par celle de la paléontologie— Mais dans le second de ces domaines, il faut ne pas vouloir de hâter et cheminer pas à pas.

Je continue dans ce moment l’examen des plus anciennes productions végétales à partir du silurien inférieur et j’acquiers la conviction que la vie organique était des lors ancienne et relativement complexe. Il devient visible de plus en plus que la végétation carbonifère et même précabonifère était divisée en deux portions presque égales de cryptogames vasculaires et de phanérogames gymnospermes— Ces Gymnospermes étaient même généralement plus élevées en structure que les survivantes de leur classe: les conifères et les Cycadées, et d’une façon générale lorsque un groupe ou une classe à décliné, les êtres de cette classe qui ont echappé, après qu’elle a eu perdu la préponderance, se rattachent à des rameaux inférieurs qui ont trouvé moyen de survivre en se soustrayant à la concurrence vitale.

La Souche gymnospermique d’où les Dicotylédones sont sorties, par suite d’une serie de combinaisons, a bien pu originairement se trouver inférieure aux autres types de gymnospermes— mais ceux-ci à raison même de leur perfection hâtiv ont dû succumber dans le combat pour la vie, lorsque les circonstances qui avaient favorisé leur estoc n’ont plus été les mêmes. J’ai développé ce point de vue dans un ouvrage sur le monde des plantes avant l’homme, actuellement sous presse et qui résume tout ce que j’ai écrit précédemment sur la marche de l’ancienne végétation conçue au point de vue de l’évolution. J’aurai l’honneur de vous offrir cet ouvrage dans peu de mois.⁴

Je vous prie d’agréer, Monsieur et honoré confrère, l’expression de mes sentiments | affectionants et devoués | C^te G. de Saporta

Je vais être à Paris pour un mois d’aout et septembre | Hôtel et quai Voltaire