Cher et honoré Monsieur

Votre lettre du 16 m’a causé une grande satisfaction et je vous en remercie.² Je tiendrai toujours en grand honneur de correspondre avec vous qui avez pris une si belle place dans la Science et dont les idées se rapprochent si bien avec les miennes

Je ne sais pas si vous avez eu connaissance de mon livre qui a paru en 1838 sous le titre de la creation, essai sur la progression des etres. ³ il a passé fort ignoré parce que la lecture n’en est pas amusante, mais tel qu’il est je vous prie de l’accepter. Je ne l’ai pas ici car imprimé a peu d’exemplaires. Il est devenu assez rare mais au moyen du bon ci joint vous pourrez par occasion le faire prendre ‘a Paris. J’y joint le d^er. volume (de 1857 ‘a 1860) de notre Societe d’Emulation ou est mon homme antediluvien.⁴ Si vous avez deja ce volume il serait remplacé par celui de 1852 a 1857   il suffira que vous changiez ces dates sur le bon

Cette malheureuse machoire m’a donné bien de l’ennui, par suite des discussions a laquelle elle a donne lieu⁵— il en a été de meme il y a 28 ans quand j’ai montré mes premières haches.⁶ Cependant alors comme aujourdhui j’étais sûr de ce que j’avançais dans ces questions   je ne hasardais rien et quand j’affirme une chose c’est que je l’ai vue. J’ai dit il y a bien longtemps qu’on trouverait l’homme fossile et je repete ma prediction.⁷ il en sera ici comme des haches que j’ai trouvé partout en Angleterre comme en France, enfin partout ou on en cherche.

Cet homme fossile est aussi là sous nos pieds, mais l’on n’en veut pas. Dès qu’ils se montrent on lui cherche querelles. ‘A combien d’incroyables histoires celui de moulin quignon n’a-t-il pas donné lieu!—on a voulu qu’il y eut été enterré par des mistificateurs quand il a été reconnu que c’etait matériellement impossible, parce qu’il y avait trop de terrain ‘a son exhumation pour rendre une fraude praticable, et d’ailleurs qu’au moins d’être aveugle ou insensé on reconnait toujours quand un terrain a été remué Le dernier des ouvriers même ne s’y trompe pas, on s’en est pris aux haches. On a dit qu’elles étaient fabriquées.— eh! bien l’un n’est pas plus vrai que l’autre— On a pu fabriquer des haches a S^t Acheul qui ressemblent assez ‘a celles des tourbières qu’en effet on imite assez aisement, mais il n’en est pas ainsi a moulin quignon. Leur imitation demanderait beaucoup d’adresse de soin et de temps, du coup pour en tenir profits les ouvriers devraient les vendre cher, et le prix ordinaire en est de 25 centimes (cinq sous)   j’ai voulu savoir ‘a quoi m’en tenir. J’ai mis au concours la fabrication d’une hache, offrant 20 Francs ‘a l’ouvrier qui en fabriquerait une ressemblant assez ‘a celles de moulin quignon pour que l’on put s’y tromper. Apres beaucoup d’essais personne n’est parvenu ‘a faire meme une hache passable.

Veuillez agréer cher monsieur l’expression de ma haute estime et de mon entier devouement. | J Boucher de Perthes

J’ai fait le bon pour les 3 derniers volumes des memoires de notre Société   Veuillez les accepter tous les trois

A Monsieur Charles Darwin—