Monsieur

Le nom de mon mari vous étant connu, je l’espère, par ses grands travaux historiques, et notre admiration pour votre génie, étant exprimée dans plusieurs de ses ouvrages, je viens en humble disciple, demander l’aide de vos conseils pour un travail qui m’occupe en ce moment.²

Il s’agit des chats, mes hôtes et mes favoris, depuis ma plus tendre enfance.³

Elevée à la campagne, dans une sorte d’arche de Noé, j’ai passé ma jeunesse solitaire à observer et noter les impressions que je recevais de mes compagnons habituels.

Mon livre, néanmoins, n’a pas de prétentions scientifiques. Il sera le frère de l’oiseau, de l’Insecte, etc, où nous avons cherché, ensemble, à donner aux gens du monde, le goût de l’histoire naturelle, à faire naître le désir de la mieux connaître, près des maîtres de la science.⁴

J’ai lu très attentivement dans votre ouvrage des variations, le chapitre qui concerne les chats, regrettant bien sa briéveté.⁵

Je puis vous affirmer, monsieur, que les métis demi angora, se reproduisent entr’eux, et avec les chats communs.—⁶ Autour de ce fait, je vous intéresserai peut-être, en vous donnant quelques détails.— J’avais reçu, il y a quelques années, une couple de chats. Le mâle magnifique angora noir et blanc, semblait pourtant avoir subi un léger mélange.

La femelle, était une vraie chatte de gouttière, maigre, rase, élancée.

Au printemps, les époux songeant à la famille, se retirèrent discrètement au fond de mon jardin. Mais un chat noir fumeux, vint roder par là, et eut avec le mari légitime, les duels accoutumés.—

Trois petits chats naquirent de cette union. Je les gardai tous. Voici leur signalement:— L’aîné, blanc et noir comme son père, avait, par opposition, le poil ras et toutes les allures de sa mère.—

Le second, une petite chatte, avait au contraire, la robe entièrement de la couleur de sa mère; mais avec la fourrure longue et soyeuse de son père, ce qui donna lieu, plus tard, aux reflets les plus chauds, les plus délicats. Je l’appelai: La blonde.

Le troisième, fut un mâle tout noir, non pas du noir de jai de son père, mais du noir éteint de l’étranger.

La singularité, c’est que son poil plutôt laineux que soyeux, avait en même temps, la longueur et l’ampleur d’un chat angora. Je le surnommai Pluton. Je l’ai gardé 5 ans. Il a péri d’un coup de feu.—⁷

Dès sa première année, il y eut mariage entre lui et sa soeur. Mais celle-ci, souffrante d’unions trop précoces, eut une mauvaise portée. Affaiblie, elle ne manifesta aucun instinct maternel. Les petits moururent presque en naissant.— Cependant après cette espèce d’avortement, sa santé reprit le dessus; elle devint merveilleusement belle; mais conserva de ses premières épreuves, je ne sais quelle grâce morale, dans les poses et les mouvemens. On eût dit une personne.

L’année suivante, au moment où elle allait nous donner des petits de Pluton, (le père et le frère aîné, étaient déjà morts d’accident,) elle fut prise dans une piège, et étranglée.—

Ceci, en prouvant la fécondité des métis, prouverait aussi que la sélection intentionnelle, n’est pas si difficile que l’on pense.

À Paris, où l’on enferme les chats auxquels on tient, s’il y a couple, le ménage ne semble nullement proccupé de chercher ailleurs. J’ai même constaté que les époux se témoignent, aux saisons calmes, des signes d’attachement réciproque. J’ai vu la femelle s’irriter et souffleter un mari qu’elle croyait volage.

L’indépendance indomptable des chats, la besoin impérieux des sorties nocturnes, empêchera toujours, dans les villes, la longévité de l’individu, mais, en tenant le ménage sédentaire aux époques voulues, on pourra jusqu’à un certain point modifier une race.

Votre ouvrage ayant été publié avant les deux expositions qui se sont faites à Londres, vous n’avez pu en parler.⁸

Oserai-je vous prier, monsieur, de me dire s’il en a été fait des comptes rendus qui méritent qu’on s’y arrête? Je voudrais savoir aussi, s’il existe en anglais quelques biographies, ou des études partielles d’amateurs, sur les chats domestiques et sur les grands chats, lion, tigre etc. Tout doit aller à vous, monsieur comme en hommage, et ces renseignements précieux pour moi, vous les avez, j’en suis sûre, sous la main.—

Recevez, je vous prie, l’expression de notre très haute considération. | A Michelet

P S. J’aurai l’honneur de vous envoyer mon petit livre, réclamant d’avance pour lui, toute votre indulgence. C’est une monnaie généreuse que les grands esprits ne savent pas refuser.