Monsieur

Je vous suis bien reconnaissant de l’éclatant témoinage que vous avez bien voulu m’adresser sur mes travaux.³ Il a produit un grand effet, et vivement impressionné tout les personnes qui avaient à voter sur ma candidature:

Je regrette d’avoir à vous apprendre que ma candidature, bien qu’appuyée de votre nom, a echoué.⁴ Je suis arrivé aussi près que possible du bas; car j’ai eu, un très grand nombre de voix parmi les membres du Conseil acadèmique et de la faculté des Sciences qui dressaient leurs listes de présentation. Mais j’ai rencontré devant moi une hostilité qui s’est manifestée de la manière la plus enérgique; celle de Claude Bernard qui est aujourd’hui tout puissant même en dehors de la Science. Il n’admet pas que l’on puisse traiter la physiologie autrement qu’il ne la fait lui-même; c’est à dire en ne suivant pas la méthode des vivisections.⁵ Il m’a donc combattu en criant très haut et partout que je n’étais pas physiologiste. Sans lui, j’aurais très certainement réussi.

Je suis donc retourné à Lille, très froissé, mais non découragé; et j’ai repris la serié interrompue de mes travaux.⁶ J’ai tout lieu de croire, par les resultats de mes expériences de l’année, que j’arriverai prochainement au terme d’une série de recherches qui m’occupent depuis près de dix-huit ans. Peut-être, lorsque je publierai mon travail d’ensemble, pourrai-je trouver dans mon pays un accueil plus favourable que celui que j’ai rencontré jusqu’à présent.⁷ Du reste, si j’étais d’une façon quelconque, abattu par mon insuccès actuel, j’aurai, pour me relever, l’opinion d’un Savant comme vous; elle ne prouve que je n’ai point fait facille route; et qu’en cherchant à étudier par la méthode expérimentale, la production des monstrosités, je suis entré dans une carrière où je pourrai rendre de véritables services à la science de la vie, quoiqu’en dire Claude Bernard et son école si exclusive.

Veuillez recevoir, Monsieur, l’assurance de mon profond respect et de ma vive reconnaissance.| Camille Dareste